À Fourmies, un train de retard

La ville de Fourmies est connue dans le Nord pour son enclavement et sa pauvreté. La voiture, trop coûteuse pour de nombreux habitants, y reste incontournable. Permis solidaire, transport à la demande… Des initiatives se développent pour aider les habitants à sortir de la ville et de la précarité.

Pour le prochain, il faudra attendre une heure”. Le chauffeur de car se lève déjà de son siège, sans attendre les éventuels commentaires indignés. Il n’y en aura pas. Tête basse, ils sont quatre à rester sur la touche, devant la gare de Valenciennes. Une ligne de train fermée pour travaux, un car de remplacement plein à craquer… Nous sommes en route pour Fourmies. La ville, 11 000 habitants, à l’extrême-sud-est du Nord, est connue dans toute la région pour ses problèmes d’accessibilité. “C’est le cul de la France”, râle Danièle Aron-Filleur, Fourmisienne depuis 72 ans. “On dit souvent qu’on est la “réserve d’indiens”, tout s’arrête à Valenciennes, même la météo”, s’amuse Emmanuel*, un salarié du service d’aide à domicile de la ville.

“Fourmies est vraiment enclavée, vous y venez mais vous n’y passez pas”, analyse le maire de la ville, Mickaël Hiraux, 52 ans. Aussi vice-président de la Région, il se rend régulièrement à Lille. Il prend bien garde de ne jamais prendre le dernier train du soir : “On n’est jamais sûr qu’il y ait un conducteur”. Même galère pour Samuel Helbecque, le président du centre socio-culturel. Pour rallier Lille, ce cheminot compte au moins une heure quarante de TER… quand la ligne n’est pas fermée ou retardée. 

Côté routes, la situation n’est pas plus reluisante. Quarante ans que les habitants attendent la 2×2 voies Paris-Bruxelles, qui doit passer à proximité de Fourmies. Le projet, mené par la Région et l’Etat, doit être inauguré en 2025 à quelques kilomètres de Fourmies. Pour l’instant, les Fourmisiens restent loin de tout : “Pour avoir une autoroute, il faut aller à Maubeuge à 40 minutes d’ici”, peste Emmanuel. Et encore, il n’est pas de “Trieux”. Le quartier à part. Enclavé dans la ville enclavée.

Trieux, loupe grossissante

Trieux, c’est une ancienne cité ouvrière rattachée avec le temps à Fourmies. Le quartier est posé sur une butte calme. Trop pour ceux qui y habitent. Ici, une seule tour d’immeuble, nommée “Bellevue”. Ça et là, quelques grandes maisons bourgeoises et des usines abandonnées. Le reste, des petites maisons accolées à des baraquements en bois et en tôle et à des barres HLM. Surtout, pas un magasin à l’horizon. Seule une petite épicerie fait de la résistance. 

“Il y a une grosse différence entre Trieux, qui est un quartier d’habitation populaire, et Fourmies, où on trouve plutôt les commerces”, détaille Alain Paillou, 81 ans. Il est élu au conseil des aînés à Trieux depuis 2016. Historiquement, Trieux concentre la majeure partie du secteur QPV (quartier prioritaire de la politique de la ville) de Fourmies, marquée par la désindustrialisation. Le taux de chômage, qui frôle les 30%, est un des plus hauts de la région. “Et la population continue de s’appauvrir”, constate François Moreau. Carte sous les yeux, il retrace les nouveaux contours du QPV, qui serpente dans toute la ville. En 2024, sa surface a été augmentée de 30%, principalement dans Trieux.

Là où s’arrête le train

Sortir de Trieux, c’est compliqué. Y aller aussi. Le quartier est séparé du reste de la ville par la voie de chemin de fer. Ironie du sort : le train symbolise l’enclavement. Pourtant, dans le passé ouvrier, il faisait rayonner la ville. “Avant il y avait la ligne Calais-Bâle, qui pouvait nous amener jusqu’en Suisse”, se souvient Jean-Pierre Camus, autre élu au Conseil des aînés de Fourmies. Son président, Alain Paillou, renchérit : “Il y avait même un tramway”. Lancé en 1884, il reliait Fourmies à Wignehies. La ligne de tramway dure moins de vingt ans et ferme dès 1903. Pourtant, elle marque les esprits des plus anciens. Dans leur jeunesse, ils voyaient encore les traces des rails dans les pavés de la route, reliques d’un âge d’or aujourd’hui disparu.

Dans le temps, on comptait trente-sept filatures”, se souvient Alain Paillou. Au XIXe siècle, l’industrie textile faisait la gloire de Fourmies. La ville était le centre mondial de la laine peignée. Un cinquième de la production française y était produite. En un siècle, le nombre d’habitants passe de 2 000 habitants à 15 000, principalement des ouvriers.

La prospérité tourne court. Les guerres mondiales puis la désindustrialisation passent par là. Les usines tombent en ruines pendant la deuxième moitié du XXe siècle. Les emplois migrent ailleurs, et ceux qui ne peuvent pas partir subissent de plein fouet le chômage et la précarité. Bendix, usine de machines à laver, employait 800 ouvriers dans Trieux. Elle a fermé en 1980.

La ligne de chemin de fer, elle, est toujours là. Mais, en ligne directe, elle ne dessert plus que Lille et Hirson. La Fourmies-Maubeuge a été supprimée dès 1969, la Calais-Bâle en 2004. “L’Avesnois est le parent pauvre du train”, lâche Samuel Helbecque, qui est aussi cheminot à la SNCF. De son côté, le conseil régional tempère. “Nous prévoyons d’investir 100 millions d’euros dans l’Avesnois d’ici 2027”, promet Christophe Coulon, vice-président Hauts-de-France en charge des transports et mobilités.

Des investissements sur des nouvelles voies ferrées, de nouveaux trains dans l’Avesnois… Mais pour l’instant, le constat dans la gare de Fourmies est saisissant. Des bancs souvent vides et les annonces d’arrivées et de départs peu nombreuses. “Il y a des problèmes structurels à la mobilité”, souligne Maxime Pol. Il a créé l’association “Sur les rails” en 2020. Son objectif : pallier la dégradation du réseau ferroviaire dans l’Avesnois. “On ne peut pas se passer de la voiture. C’est un élément de désenclavement”, déplore le jeune homme. Employé à la mairie de Maubeuge, il sait de quoi il parle. Seulement 40 kilomètres le séparent Fourmies. Sans liaison directe, il faut compter 1 heure et demie de TER avec un arrêt forcé à Aulnoye-Aymeries… Quand les trains ne sont pas supprimés. Avec son association, il a déjà réussi à obtenir la remise en place des trains Paris-Bruxelles avec un arrêt dans l’Avesnois d’ici fin 2024. Le train passe par Maubeuge, pas à Fourmies. Là encore, la ville n’est pas la priorité.

“Celui qui n’a pas de voiture je le plains”

Pour l’instant, difficile de rêver de voyager dans les mégapoles depuis Fourmies. Les rails donnent sur Trieux. Ça et là, un coq dans un jardin, quelques vaches au loin, des aboiements de chien. Un car passe. C’est rare. Le quartier ne compte que deux arrêts de bus. Le principal est au pied de Bellevue. “Si on habite à Trieux, il faut un véhicule. Celui qui n’a pas de voiture je le plains, car ça monte et il faut des bonnes jambes !”, affirme Sébastien Tisserant, qui réside “au fin fond du quartier”.

À Fourmies, ou tu descends ou tu montes, sinon c’est que tu es à la place de la mairie !”. Jean-Pierre Camus prend sa voiture pour filer rue Jules-Guesde, surnommée “rue de la Montagne”, route principale de Trieux. La seule zone commerciale se trouve dans le quartier de la Marlière, à l’extrême nord-ouest de la ville, à l’opposé du centre hospitalier. Deux zones très importantes qui sont donc à l’extérieur de la ville. Ajoutez à cela les nombreuses – et fortes – côtes, et il est difficilement imaginable d’imaginer une personne âgée faire ses courses ou aller se soigner sans voiture.

Pour aller au travail, c’est pire. Il faut presque toujours sortir de la ville. Pas étonnant donc, que dans la part des moyens de transport utilisés par les Fourmisiens pour travailler, la voiture prédomine. 78%  en 2020, contre seulement 3,9 % pour les transports en commun. À la gare, on le reconnaît : “Par chez nous, si vous n’avez pas de voiture, c’est compliqué rien que pour faire ses courses. Il y a des transports mais c’est incomparable avec les grandes villes comme Valenciennes et Lille”, regrette Mehdi, seul agent au guichet de la gare SNCF de Fourmies.

Conduire, avec ou sans permis

Pourtant, “la voiture est une nécessité qui reste inaccessible”, analyse Maylis Poirel, sociologue au laboratoire de recherche Ville Mobilité Transport de l’université Gustave-Eiffel, région parisienne. 71% des Fourmisiens ont une voiture, contre 81 % à l’échelle nationale. Seuls 19% ont au moins deux voitures. “C’est le serpent qui se mord la queue : sans voiture, c’est compliqué de trouver du travail, donc de l’argent pour trouver des solutions de mobilité”, ajoute la sociologue.

Manque de moyens ou sentiment d’inutilité, beaucoup renoncent au permis. Dans les rues, le nombre de voitures sans permis saute aux yeux. Les “cacahuètes”, les surnomme-t-on ici. Au quartier de l’Espérance, les pétarades de leurs petits moteurs détonnent. C’est comme ça qu’on entend de loin arriver la Microcar blanche de Pascal. “Elle coûte 16.000 euros neuve !”, raconte-t-il, le sourire aux lèvres. Maraîcher sur Avesnes, il doit faire  17 kilomètres aller-retour chaque jour. “Avant j’avais une Ligier [NDLR, une marque de voiture sans permis]. Elle était de 1994, elle était morte. Une voiture comme ça si t’en prends soin ça dure une trentaine d’années”. Sur le palier de la porte, son fils le rejoint. Lui a le permis. Mais pas question pour son père de le passer. “Je n’en vois pas l’utilité”, explique-t-il vaguement.

Niveau réparation, il prend soin lui-même de son précieux quatre-roues. Garée sur le trottoir devant sa maison en brique rouge, elle a été modifiée par ses soins. “Normalement c’est limité à 45 mais là elle roule à 90 ! Faut pas le dire. Beaucoup font ça”, confesse le quinquagénaire. Il commande les pièces sur Internet ou se rend dans des casses à Cambrai. Car réparer sa voiture a aussi un coût. Trop élevé pour lui.

Il n’est pas le seul. Nombre des voitures sans permis dans Fourmies ont des roues dépareillées ou le capot entrouvert. Deux rues plus loin, le capot d’une autre Microcar tient grâce à des bouts de bois et des morceaux de ficelles. “Dans le secteur, les voitures sont dans un état pitoyable. Le contrôle technique va faire du bien”, explique Eric Losson, gérant d’un garage Peugeot-Citroën dans le quartier de Trieux. Selon lui, ne pas contrôler ces véhicules ne fait que retarder les réparations et devient dangereux. “Il y a une question de moyens mais aussi de réussite au permis. Des anciens ouvriers d’usines qui avaient des mobylettes sont passés à ça.”, ajoute-t-il.

Pièces détachées et tâches de camboui 

Même constat sur l’état des véhicules avec permis : “Ici, ce ne sont pas trop des voitures neuves, plutôt des véhicules de plus de 10 ans”, affirme Sébastien Tilmant, au comptoir du garage SOS Dépannage. La fumée noire qui s’échappe de certains pots d’échappements dans les côtes de Trieux trahit l’état de vieilles Peugeot 205 ou Fiat Punto. Des voitures mal entretenues, par manque de moyens, qui poussent les usagers à se tourner vers des garages petits, et souvent moins chers. “Des p’tiots sont venus pour se renseigner pour changer la distribution, c’est 600 euros ailleurs. Chez nous, c’est 150”, se targue Erwin Poupel, sourire jusqu’aux oreilles. Son garage tourne à plein régime. Une citadine se dresse au milieu. “À l’heure actuelle une voiture ça coûte des sous, s’ils viennent dans des grosses concessions ils sont assommés”, affirme le garagiste. Des prix qui, même les plus bas possibles, font reculer certains.

Deux rues plus loin, un homme et son fils réparent une voiture familiale bleue dans le garage. Des carcasses et pièces détachées jonchent le jardin. “Je n’ai pas le temps de parler”, explique l’homme d’une cinquantaine d’années, cambouis sur les mains.

Et eux ont une voiture. Car nombreux sont ceux qui n’ont pas ce luxe. Alors, depuis 2016, la ville de Fourmies propose la location de véhicules 2 et 4 roues à des tarifs très faibles. Il faut compter deux euros par jour pour les scooters. C’est quatre euros par jour pour les voitures et trois pour les voitures sans permis. Les clients sont  sélectionnés sur critères sociaux. La condition : avoir un contrat de travail sans être véhiculé. Une location est d’une durée maximum de trois mois renouvelée selon les situations. Preuve du besoin : “Le parc est toujours en location. Le premier qui appelle a le véhicule, il y a même une liste d’attente”, affirme Maxence Henriat du pôle mobilité de Fourmies. Au total, huit voitures sont disponibles et quatre nouvelles devraient arriver dès l’an prochain.

Conduire ou se faire conduite, telle est la question

Garées rue Bleue, dans le centre-ville, ces voitures font de l’œil à beaucoup de monde. Surtout aux élèves de l’auto-école solidaire située dans le même bâtiment, comme Cédric. Cet homme de 38 ans, tatoué des mains à la tête, est au début de sa formation de conduite. Il a quitté le circuit scolaire à 15 ans et n’a jamais eu d’emploi de longue durée. Seulement de la coupe de bois non déclarée ou une formation d’un mois en tant qu’agent d’entretien pour la mairie. Sans permis, c’est difficile. “On m’a proposé un travail à Hirson mais je commençais à 23 heures et sans voiture c’est pas possible”, se désole-t-il. Quinze kilomètres, c’est déjà trop.

C’est parti pour une heure de conduite. “Ici il y a rien, que dalle”, répète Cédric en circulant dans Fourmies. En sortant de la ville, la route pluvieuse le déstabilise un peu. “On va un peu plus vite, s’il vous plaît”, lui assène Dimitri Caille, l’un des moniteurs de Trajectoire. Cette auto-école solidaire, née en 2013 dans le Nord, accompagne 300 bénéficiaires par an. “Ce sont des personnes en grande précarité. On revoit beaucoup de choses avec eux, comme les tables de multiplication pour calculer les distances en fonction de la vitesse”, explique son créateur, Benoît Gontier. Pour beaucoup de bénéficiaires, le code de la route est le premier diplôme obtenu. Une formation courte de 5 semaines pour le code et 2 mois de conduite, pris en charge à 90 %. Soit 200 euros, qui peuvent être payés en deux fois, contre plus de 2.000 euros dans une auto-école classique. En prime, un encadrement plus fort qu’ailleurs. 

Tiffany Lefèvre, 22 ans, prend la suite. Cette jeune maman veut à tout prix quitter Fourmies pour travailler dans l’aide à la personne en région parisienne. La pluie fine continue de tomber sur la route. La voiture-école sort de la ville, longe les anciennes filatures en ruine, bientôt détruites. Moi j’ai des gens je leur demande d’aller à Wignehies, c’est le village d’à côté à 5 minutes, ils ne savent pas où c’est. Ils ne sont jamais sortis de leur quartier.”, remarque Dimitri Caille dans son pull bleu ciel. Assis à sa place de passager, le moniteur pointe du doigt le manque de mobilité : “Les gens de Trieux viennent une fois par semaine à Fourmies pour faire leurs courses et c’est tout. Ils ne bougent pas, ils ne vont nulle part ailleurs.”.

Nombre d’habitants ne sont jamais sortis de la ville. “Certains Fourmisiens ont vu leurs parents et grand-parents ne jamais travailler, ils n’ont donc jamais eu le besoin de sortir pour trouver un emploi”, selon François Moreau, adjoint au maire chargé des QPV. “La mobilité n’est pas que physique, elle est aussi psychologique”.La précarité agit comme une barrière mentale qui vient renforcer l’isolement des habitants les plus pauvres. Ne jamais avoir pris le bus, avoir du mal à lire, ou à utiliser Internet… “Il y a du psychologique, mais aussi des enjeux d’éducation et de compétence”, analyse Maylis Poirel. La sociologue a passé plusieurs jours à Fourmies pour y étudier les freins à la mobilité : “Les personnes précaires n’ont aucune possibilité de se projeter, elles ne partent pas en vacances et ont du mal à mettre de l’argent de côté pour acheter une voiture.”

Pour certains, partir de l’Avesnois est inenvisageable. “On a beaucoup de jeunes qui ne veulent pas quitter le cocon familial, ils s’inscrivent dans toutes les filières post-bac de Fourmies pour rester”, constate Mickaël Hiraux. Pour tenter de lever ces barrières psychologiques, la mairie a mis en place des “ateliers de coaching”. Un accompagnement personnalisé pour apprendre à utiliser des applications, Internet et surtout comprendre que sortir de Fourmies est possible.

Le transport à la demande, une solution qui roule

Pourtant, sans permis et sans voiture, des solutions existent. Elles se résument parfois à trois lettres : le “TAD”. Les initiales de “transport à la demande”. Ce dispositif d’aide à la mobilité a été créé en 2018. En réservant un créneau sur Internet, une voiture vient chercher les habitants du Sud-Avesnois à un arrêt de bus pour les déposer à un autre. Des arrêts qui ne sont plus, ou mal, desservis par les transports en commun. “C’est plus rapide et plus pratique que les bus, où il y a peu d’horaires”, complètent Sarah et Léa, qui l’utilisent chaque mercredi depuis Wignehies. Les deux jeunes femmes savent de quoi elles parlent : pour faire leurs courses à Fourmies, elles doivent marcher pendant une demi-heure dans la campagne. Même problème à l’intérieur de la ville : le bus qui faisait une boucle dans Fourmies a été supprimé par la Région en 2019. “Certes il n’y avait pas beaucoup de monde, mais le prix était élevé et les horaires inadaptés”, regrette Mickaël Hiraux. De son côté, la Région invoque des coûts trop importants que, ni elle ni la communauté de communes, n’a voulu prendre en charge.

“On fait aussi beaucoup de social”, note Sébastien Tisserant, au volant de sa Toyota estampillée “Avesnois Mobilités”. Depuis six ans, il assure des trajets sur rendez-vous à Fourmies et dans les environs. Le prix de la précieuse course : un euro. Travail, courses, rendez-vous médicaux… Avec 1520 réservations sur le mois de février 2024, le TAD affiche souvent complet. L’intercommunalité espère mettre plus de voitures à disposition des habitants, mais déplore un manque de moyens.

“On a un public assez féminin, constate Laurent Amistadi, directeur adjoint de Vital Services, l’entreprise de TAD. Pour les ménages qui n’ont qu’un véhicule, ça constitue la deuxième voiture pour gagner sa vie.” C’est le cas de Laetitia Olivier, qui l’utilise chaque jour pour aller en formation d’aide à la personne à Trélon : “Dans tous les métiers ils demandent d’avoir une voiture, j’ai le permis depuis trois ans mais pas de voiture, c’est trop cher” 

Le “taxi” passe souvent dans les ruelles de Trieux. Connaisseur du quartier – il y habite – Sébastien Tisserand a milité pour réhabiliter deux anciens arrêts de bus pour y amener le TAD. “On a beaucoup de gens qui viennent de Trieux”, complète Céline Macke, conductrice de TAD depuis quelques mois. Elle adresse un signe de la main à un passant : “Lui, il prenait le TAD le soir pour rentrer du travail et le bus le matin, mais sa femme a réussi à avoir une voiture.”. 

Un dernier tour de car

Mais quand on travaille plus loin ou à des horaires décalées, cette solution n’est pas valable. Alors, l’usine Renault de Maubeuge a pris les choses en main. Elle propose un des derniers transports ouvriers de la région. Le départ est à 4h30. Jordan Lavergne, 28 ans, le prend depuis huit ans. Depuis qu’il travaille au montage de l’usine. La nuit noire, il la brave chaque fois qu’il est “du matin”. Casquette sur la tête, il attend un bus. Bien que sa voiture soit garée quelques mètres plus loin. “Je le prends pour faire des économies sur l’essence et ça me permet de dormir un peu plus”, explique-t-il en fumant sa cigarette. 

C’est même ce bus qui l’a convaincu de signer à l’usine Renault. Il estime gagner 200 à 300 euros par mois de carburant. Pour celui qui habite depuis toujours le quartier de Trieux, le car ouvrier est une aubaine. Trois arrêts sont marqués dans Fourmies. Le trajet dure entre 35 et 40 minutes. “Il y a 10 bus à MCA pour desservir différentes villes. Ils en ont supprimé deux car il y avait trop peu de personnes. Mais celui de Fourmies marche bien : comme il n’y a pas de boulot, que les gens n’ont pas trop le permis, forcément il y a plus de monde ici qu’ailleurs”, poursuit-il. Comme lui, une quinzaine de Fourmisiens prennent le bus chaque jour. 

C’est le cas de Benjamin Leroy. Lui n’a pas le permis. Le comble quand on travaille à Renault depuis cinq ans.  “Ça dépanne bien quand même. Sans permis c’est galère pour aller à Maubeuge et ici il n’y a pas trop de boulot”, dit-il capuche sur la tête. Ils se sont connus à l’usine. C’est désormais ensemble qu’ils y vont. Une dizaine de personnes s’amassent à l’arrêt de bus. Tous se serrent la main. Alors que les oiseaux commencent à chanter, voilà qu’il arrive. Ses phares éblouissent les hommes, tous jeunes. 4 heures 33, le bus part. Il est comble, mais cette fois, personne ne reste sur le bord de la route.

Valentin Thibier et Esteban Grépinet

*Le prénom a été modifié