La ville cherche à tourner la page de la désindustrialisation. Offrir des perspectives à la jeunesse est au cœur de la politique municipale. Le taux de chômage des 15-24 ans approche les 50%.
A Denain, les jeunes bougent mais tournent en rond. Un parc en chantier, des fast-foods à la pelle, peu d’endroit pour s’asseoir, peu d’espaces verts. Le centre commercial et son Carrefour, en centre-ville, comme seul lieu de rendez-vous… La ville, construite sans plan d’urbanisme, a d’abord été pensée pour l’industrie minière puis sidérurgique, avec une avenue principale : la rue de Villars. Les quartiers se sont construits au fil des besoins de main d’œuvre. Faute de distractions, les adolescents arpentent la galerie commerciale adossée aux anciens entrepôts d’Usinor.
L’entreprise concentrait presque toute l’activité de Denain. Elle cesse définitivement ses activités en 1988 et laisse derrière elle une friche industrielle non dépolluée de 85 hectares. Une ville fantôme au cœur de Denain. Face à l’ancien édifice, le Carrefour de la galerie commerciale, où se retrouvent les adolescents. Qu’y font-ils? “ Rien. On s’y retrouve ”, répondent deux jeunes filles assises sur le seul banc face aux caisses. Elles disent vouloir partir à cause du manque de perspective et un taux de chômage des jeunes à 50%. “Partir”, beaucoup d’adolescents et de jeunes adultes en parlent, en rêvent. La ville veut tourner la page de la désindustrialisation, ouvrir le champ des possibles aux jeunes. Mais les plus difficiles à convaincre semblent être les Denaisiens eux-mêmes.
Le Carrefour, en plein centre ville, est le seul lieu de rendez-vous pour de nombreux jeunes. (Crédits : Ange Fabre)
Une ville abîmée
“Il faut comprendre Denain pour y vivre et y travailler.” Un adage local, partagé par les acteurs sociaux de la ville quand on évoque les difficultés de cette commune de 20 415 habitants. Autrefois cité prospère, Denain est aujourd’hui le symbole des zones post-industrielles sinistrées. Des retraités aux collégiens, chacun connaît l’histoire d’Usinor, le leader de la production sidérurgique des Trente Glorieuses, qui a transformé une bourgade minière en importante ville industrielle. Usine mère du groupe, l’aciérie produisait jusqu’à deux millions de tonnes d’acier en une année. Un record. “Denain c’était Usinor”, résume Nathalie Place, directrice du musée d’archéologie et d’histoire locale. A son apogée à la fin des années 60, le groupe emploie jusqu’à 11 000 personnes, soit un tiers de la population. “Les grands-pères y travaillaient, les pères également et les fils suivaient”. Dispensaire, église, théâtre ou encore salle des fêtes… l’entreprise organise toute la vie de ses salariés autour de leur lieu de travail. Sur les 90 hectares de la friche industrielle s’élevait autrefois une colossale cité industrielle. “Une véritable ville dans la ville”, poursuit Nathalie Place, montrant des photos du Denain des années fastes. Héritage de cette époque, le théâtre néoclassique de Denain reste un des fleurons de la ville. L’église du Sacré-Cœur, construite en 1906, est aujourd’hui en ruine.
L’église du Sacré-Cœur, en ruine, va être réhabilitée. (Crédits : Ange Fabre)
La fermeture d’Usinor, “un séisme”
En 1978, le groupe, longtemps soutenu par l’Etat et acculé de dettes, licencie 12 000 personnes au niveau national, dont la moitié à Denain. Les affrontements entre grévistes et forces de l’ordre font la une des JT. “Un séisme”, décrit Nathalie Place. Les quinze années suivantes, Denain se vide, plus de 26 000 habitants en 1975, 19 000 en 1990.
Les cités Werth et Martin, dans le quartier Nouveau-Monde construites aux abords des usines, sont délaissées et les commerces présents ont fermé. Aujourd’hui, à l’exception d’une pharmacie et d’une petite supérette, plus aucune activité. Pour le reste, il faut aller au Carrefour ou rue de Villars. Les commerces, quelques coiffeurs, boulangeries ou fast-food y sont présents, mais ne s’installent pas dans la durée, “pas plus de deux ou trois ans”, selon la directrice du musée d’histoire locale.
De nombreux bâtiments des années 70 sont aujourd’hui abandonnés à Denain. (Crédits : Ange Fabre)
“Denain-bashing”
“Quand on parle de Denain, c’est toujours en négatif”, soupire Gauthier Marquant, directeur général adjoint de la ville, chargé de l’animation et du vivre ensemble. Souvent citée comme la ville la plus pauvre de France, 43% de la population y vit sous le seuil de pauvreté en 2021 selon l’INSEE. Le taux de scolarité chez les 18-24 ans était de 31% en 2020, en deçà des 52,1% en France. “La ville bat tous les records. On m’a demandé si j’étais puni quand je suis venu à Denain”, raconte, amusé, Emilio Godin, directeur de la Mission locale depuis 2013. Un “Denain-bashing agaçant, qui peut couper les ailes des Denaisiens”, dénonce Gauthier Marquant. D’autres y voient une certaine réalité. “Il ne faut pas non plus être aveugle, les problèmes d’alcool par exemple sont réels”, explique Magali Joly, assistante sociale au centre hospitalier de Denain. Selon elle, les problèmes n’auraient pas augmenté, mais toucheraient “un public de plus en plus jeune, avec beaucoup d’hommes âgés de 30 à 35 ans avec des problèmes gastriques”, comme le syndrome de Korsakoff, maladie neurodégénérative causée par une surconsommation d’alcool.
Pas d’emploi sans mobilité
“Que trépasse si je faiblis”. Sur les murs de la mission locale, on retrouve cette devise, écrite par les jeunes eux-mêmes. Dans une salle de réunion, quatre d’entre eux s’entraînent à passer des entretiens d’embauche. Hugo s’entraîne face à Maes, qui joue le rôle de l’employeur. L’échange est encore mécanique, Hugo hésite, l’exercice le crispe. A la fin des entretiens d’entraînement, Pierre, leur encadrant, met en place un débrief. L’ambiance se relâche. “ Ne tombez pas dans les questions pièges, ne vous dévalorisez pas”, leur conseille-t-il.
Trouver un emploi qui correspond à ses envies nécessite très souvent de déménager ou d’avoir une voiture. “ J’ai des compétences techniques, je maîtrise le langage web et html. Il y a du boulot en informatique mais pas à Denain”, explique Hugo, 23 ans et diplômé d’informatique. Maes, 22 ans, cherche un emploi dans le domaine de la mécanique. Il dit ne pas avoir envie de quitter la ville, mais pour lui “ ici c’est bouché, il faut aller au minimum à Valenciennes.” Pierre constate : “Il y a deux jeunesses à Denain, ceux qui ne veulent rien faire ou ne sont peut-être pas au courant de toutes les possibilités et ceux qui se bougent.” Parmi les “possibilités” : le pass’ permis. Les moins de dix-huit ans, domiciliés à Denain, ont leur permis financé à hauteur de 80% en échange de 80h de bénévolat.
Les jeunes Denaisiens peuvent bénéficier d’une aide pour financer leur permis. En réalité, ils sont peu nombreux à l’utiliser. (Crédits : Ange Fabre)
“Dans la situation dans laquelle je suis, j’accepte tout. Je suis motivé et j’ai besoin.”, insiste Christopher, la vingtaine, résident du foyer le Triangle. Depuis sept mois, il est père d’un enfant, placé le temps que ses parents puissent jouir d’une situation stable. Dans ce centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), 24 personnes, majoritairement des jeunes, cohabitent. “Moi je suis prêt à bouger pour le travail, mais en restauration à Valenciennes c’est pas possible, j’ai pas de moyens de locomotion … si j’avais le permis et une voiture j’aurais pu”, souffle Christopher. Le tram existe à Denain depuis 2007 et relie l’ancienne cité industrielle à sa voisine Valenciennes en une demi-heure, de 5 heures du matin à 21h30 le soir. Des horaires incompatibles avec un emploi en restauration, un des rares secteurs en forte demande.
L’espace Villars est le principal lieu de croisement des transports en commun. Le tramway y relie Denain à Valenciennes. (Crédits : Ange Fabre)
Bouger, une nécessité
“Les politiques de la ville, il y a 20 ans, ont fait le choix de mettre le paquet sur des grands pôles que sont les métropoles. On considère que ce sont les individus qui doivent aller vers ces pôles d’emploi.”, explique Cécile Vignal, maîtresse de conférence en sociologie urbaine, qui a étudié les questions de mobilité des classes populaires. “ Cette décision place les jeunes en recherche d’emploi dans une situation contradictoire. On leur demande soit de dépenser trop d’argent dans un déplacement automobile avec le coût de l’essence soit de prendre les transports en commun qui sont trop longs ou inefficaces. On leur demande de combler les faillites du marché du travail.”
Sans permis, l’avenir s’obscurcit pour de nombreux jeunes Denaisiens. (Crédits : Ange Fabre)
Au foyer le Triangle, dès neuf heures du matin, la salle commune s’agite, les jeunes résidents l’animent de leur énergie. Francisco peaufine son CV sur un ordinateur à disposition. Réveil à 6 heures, participation aux tâches ménagères et à la préparation des repas… Le directeur du foyer, Philippe Drancourt, a instauré un rythme de vie discipliné. En rupture avec leurs parents, sortis du système scolaire, les jeunes qui atterrissent au Triangle sont souvent à la recherche d’aide et de conseils. Tout en discutant, Ioni ne lâche pas des yeux l’écran de son téléphone. Il joue à Call Of Duty, un jeu d’action militaire. L’armée est une possibilité qui revient régulièrement au cours des discussions. Incité par le directeur, ancien militaire, le jeune garçon de 19 ans part s’engager début avril. Une possibilité qu’il dit avoir en tête depuis sa préadolescence. “C’est un véritable plan B” pour Francesco, 22 ans, diplômé en soudure. “Si dans trois mois je n’ai rien trouvé, j’y vais”, reconnaît-il. L’armée apparaît comme un cadre rassurant et fiable, avec un salaire “correct” et un toit. Pas une surprise pour Cécile Vignal. “La fonction publique a toujours été dans la sociologie des classes populaires une voie d’accès et de mobilité sociale ascendante. L’armée est une institution accessible pour des jeunes peu diplômés où tout est pris en charge. On est nourri et logé. Le jeune s’émancipe et s’autonomise vis-à-vis de sa famille”, explique-t-elle.
Quitter Denain et ses attaches
Tous les jeunes ne veulent pas partir. “ Ici j’ai ma famille, je n’ai pas envie de partir ”, nuance Inès*. Au lycée Mousseron, une dizaine d’élèves de terminale sont réunis pour le cours de spécialité mathématiques. La fin d’année approche, ils s’interrogent sur leur avenir. “ Si on veut faire des études, on ne peut pas rester à Denain ” lui répond Zoé*, qui se dirige vers une année de médecine à Lille. Le groupe se partage entre ceux qui ne se voient pas partir, par attachement familial et ceux qui veulent poursuivre leurs études ailleurs, à Lille ou Valenciennes principalement. Quitter le foyer familial, cette perspective suscite peu d’enthousiasme parmi les adolescents. Aucun n’évoque de destination hors de la région. “ Dans mes trois classes de terminales technologiques, beaucoup ne demandent qu’un ou deux vœux, et toujours à Denain ou pas très loin ”, constate leur professeur, Jean-Jacques Lopacinski. Avec cinq BTS, brevet de technicien supérieur (techniques commerciales / maintenance industrielle / négociation relation client ou économie sociale et familiale), la ville compte des formations d’enseignement supérieur, mais trop peu pour les élèves. Aucune université, aucune école privée pour des études de plus longue durée. Sur les 690 vœux d’orientation post-bac des élèves de JJ.Lopacinski, seuls 46 concernent des destinations hors des Hauts-de-France. “La contrainte économique est tellement forte qu’elle empêche d’accéder à des universités comme Lille car c’est une ville lointaine finalement (40 km ndlr). Cela demande un logement, un transport. C’est un coût énorme de faire des études longues.”, pointe Cécile Vignal.
Le Lycée Jules Mousseron, un des quatre de la ville, accueille entre autres les élèves du Denain Basket Club et plusieurs BTS. (Crédits : Ange Fabre)
Une ville à deux facettes
Trois mères, assises sur un banc devant l’école élémentaire Michelet, attendent leurs enfants. Partir ? Oui. “ N’importe où sauf Denain !” s’exclame l’une d’elles. “ A Denain, les gens ne se parlent plus, les mentalités ont changé”. Les trois mères jettent un regard amer sur l’évolution de leur ville. Elles estiment que “ les gens ne se parlent plus, le dialogue est rompu”, notamment avec les habitants arrivés plus récemment et qui n’ont pas connu l’époque d’Usinor. Les familles qui ont connu les heures “glorieuses” de la ville ont un fort sentiment de déclassement, qui alimente le vote d’extrême droite. Candidat RN aux municipales, Sébastien Chenu, député de la circonscription, a été largement battu par Anne-Lise Dufour Tonini, maire socialiste solidement ancrée dans sa ville. Deux ans plus tard, lors des législatives, il conserve son siège face au candidat de la gauche.
Les trois femmes assurent ne jamais se rendre aux événements culturels organisés par la ville, au cinéma ou au bowling récemment ouverts. “ On y croise toujours les mêmes têtes ”. Même chose pour les aides, pour les fournitures ou pour le chèque d’aide à l’inscription aux activités sportives et culturelles. “ On ne les prend pas, ça fait cassos’.” L’une d’elles se montre très renseignée sur les aides mises à la disposition des familles : elle est rabrouée par son amie. “ Mais toi tu cherches, tu grattes partout !”
L’école élémentaire Michelet de Denain. (Crédits : Ange Fabre)
L’école Michelet sera la première à expérimenter le port de l’uniforme à la rentrée 2024. Une mesure phare de Gabriel Attal lorsqu’il était ministre de l’Education nationale à laquelle s’est associée la maire de Denain. Les deux se sont rencontrés lorsque Anne-Lise Dufour-Tonini était députée sous François Hollande et lui membre du cabinet de Marisol Touraine, alors ministre de la Santé. Ils sont restés en contact depuis. “ Denain c’est une ville en difficulté sociale, on ne le se cache pas, on sait que des enfants subissent des discriminations car ils n’ont pas les derniers vêtements à la mode”, explique Emmanuel Cherrier, conseiller municipal chargé de l’éducation. “ L’idée c’est d’effacer certaines différences sociales qui peuvent être la cause de harcèlement.”.
“Les Denaisiens sont les plus mauvais ambassadeurs de leur ville”
Les vêtements vont être floqués avec un logo de l’école Michelet créé par les enfants. “ Les Denaisiens sont les plus mauvais ambassadeurs de leur ville”, regrette Emmanuel Cherrier. L’uniforme s’inscrit dans une volonté de la mairie de combattre ce sentiment. “L’objectif c’est aussi de créer un esprit de corps, de solidarité, une fierté d’appartenance, la fierté d’être Denaisien.”
Ouvrir des perspectives
En face de l’église du Sacré cœur, dans l’ancien quartier résidentiel des usines d’acier se trouve le Grenier aux Entrechats. Cette école de danse, logée dans l’ancienne salle des fêtes d’Usinor, est un fleuron de la ville. Elle voit ses danseurs régulièrement qualifiés aux concours nationaux. Le 12 février dernier, les sections jazz et hip-hop ont raflé une dizaine de premiers prix au Concours régional de danse à la Cité des congrès de Valenciennes. “On est peut-être un peu les bobos de Denain mais il y a de belles choses ici il faut le dire. On aime y vivre, la ville change.” Emmanuelle, professeure des écoles, patiente dans les couloirs. Elle et ses six enfants y sont inscrits, et profitent de tarifs attractifs. Mais tous ne peuvent se les offrir.
Créé en 1989, le Grenier aux entrechats est l’école de danse renommée de la ville. (Crédits : Ange Fabre)
Un remix de Shook ones de Mobb Deep résonne derrière la porte de la salle de répétition. Théo Malicet, 22 ans, est professeur de hip-hop à l’école de danse. Ses élèves, enfants et adultes, répètent une chorée de breakdance. Pour le jeune prof qui a pratiqué la danse à Lille et à Paris, beaucoup d’adolescents n’osent pas réaliser leur passion. “On essaye de leur ouvrir des perspectives mais je trouve qu’on n’a pas assez de Denaisiens dans le cours.” L’institut attire surtout des familles originaires des villes voisines. “On propose des cours avec des professeurs diplômés, qui ont exercé dans de grandes écoles”, explique Michael Colin, le directeur. Le cours hebdomadaire à l’année coûte 350 euros. Le tarif est dégressif : à chaque nouveau membre d’une famille inscrit, le cours ne coûte que 100 euros supplémentaires. “Évidemment, ça reste un coût conséquent pour beaucoup de familles d’ici ”, reconnaît Michael Colin.
Les jeunes Denaisiens manquent aussi au club de basket, vitrine de la ville. William Howard, ex-joueur de NBA, Isaïa Cordinier, international français… Dans le hall du complexe sportif Jean-Degros, on trouve une galerie de portraits de joueurs de haut niveau passés par les couloirs du Denain-Voltaire Club. Mais aucun Denaisien. Avec une équipe professionnelle en Pro B, deuxième division nationale, le club a une solide réputation de structure formatrice de jeunes talents. Si les Denaisiens représentent un tiers des inscrits jusqu’à 12/13 ans, ils disparaissent des sections espoirs selon la direction du club. Parmi les joueurs U18 interrogés, tous sont originaires d’autres villes comme Valenciennes ou Lille, mais aucun ne s’attarde beaucoup à Denain, à peine connaissent-ils la ville.
Deux joueurs professionnels du Denain-Voltaire à l’entraînement. (Crédits : Ange Fabre)
Le travail invisible des jeunes
Si la ville veut offrir des activités à sa jeunesse, la question du chômage est plus coriace à résoudre. “Les jeunes ne font rien”, “les jeunes de Denain ne veulent pas bosser…” Dans les cafés, ce constat est partagé et répété. “ Les jeunes de milieux populaires font beaucoup de travail non reconnu, notamment de la solidarité auprès de leurs proches. Ils s’occupent beaucoup des membres de leur famille, font de l’entraide auprès de leurs voisins”, explique Cécile Vignal. Du travail donc, qui “ n’est pas reconnu ni valorisé par les institutions mais qui leur coûte en temps et en énergie et qui rend service à la collectivité.”
Selim, 14 ans et passionné de TikTok. (Crédits : Ange Fabre)
A la sortie du club de boxe attenant à l’école de danse, le jour décline. Quelques adolescents s’attardent. “Il faut comprendre les algorithmes pour percer”. Selim a 14 ans et se réclame spécialiste de TikTok. Il rêve de succès en partageant des playbacks de clips de musiques célèbres. Avec lui, Kenny a 17 ans, il est en terminale générale. Passionné de photo, il les partage sur un compte Instagram dédié à ses créations. “ Je réalise aussi des clips, j’ajoute des textes de motivation, des choses qui me tiennent à cœur.” On le voit faire du sport, accompagné de citations façon développement personnel. Quant à rester sur Denain ? “Impossible ! C’est pas une si mauvaise ville par rapport à ce qu’on entend mais y’a pas les tal’s (l’argent), y’a pas assez de moyens.”
Briser la spirale négative
Slaheddine Halitim veut lui aussi conjurer un “Denain-bashing” qui coupe les ailes des jeunes Denaisiens. Il est directeur du pôle famille loisirs et vie culturelle de Denain, sa ville de naissance. Il sait que l’on ne gomme pas des années d’inertie du jour au lendemain. “On essaye d’aller chercher les familles, par tous les moyens mais on vient de loin, ça prend du temps. J’ai grandi dans des bâtiments où on enjambait les camés.” Lui s’en est sorti en travaillant à son tour dans l’action sociale de la ville et souhaite ouvrir un horizon aux jeunes. “Il n’y a pas assez d’émulation, il y a beaucoup d’échecs scolaires. Les jeunes reproduisent souvent les parcours des parents”, reconnaît-il. Il demeure des barrières invisibles, des mondes qui ne se côtoient pas. “Si t’es au RSA ici tu te fais juger, mais si t’es trop original tu te fais aussi insulter”, explique Lilou, adolescente de 17 ans qui souhaite elle aussi partir. Un sentiment que connaît bien Maïwenn, inscrite à la mission locale, qui veut parcourir la France à bord de son camion de tatouage “ J’ai un ami un peu extravagant, qui aime bien s’habiller de manière originale. A Valenciennes il récolte les compliments, ici c’est plutôt les insultes et les canettes.”
“ Les jeunes reproduisent souvent les parcours des parents. ”
Adolescents et jeunes adultes, tous reconnaissent qu’en quelques années Denain a déjà changé. Depuis 2022, les travaux se succèdent. A côté du McDonald’s la mairie promet l’installation prochaine d’un nouveau restaurant. La ville en manque cruellement, Denain n’offre que de la restauration rapide. Insuffisant pour les 10 000 emplois que la ville s’apprête à accueillir sur l’ancien site industriel d’Usinor des Pierres Blanches. C’est le grand projet de la ville pour l’emploi. L’aménagement de la ZAC a coûté 12 millions d’euros : sur les 85 hectares s’installeront des entreprises comme Log’s (logistique), Lesaffre (pharmacologie).
Des anciens entrepôts d’Usinor, prochainement rénovés. (Crédits : Ange Fabre)
L’autre projet phare de la mairie, c’est la place du centre-ville. Elle veut en faire “une véritable place verte, avec terrasses et restauration” et affiche déjà l’image de projection 3D sur la page d’accueil de son site internet. Les travaux sont en cours. A côté de la mairie, un trou béant a remplacé l’ancienne salle Aragon, annexe municipale détruite en fin d’année 2023. L’aménagement de la place et la construction d’un forum attenant doivent être achevés pour Noël 2025. Le parc de la ville est lui aussi en chantier, un skate-park s’y prépare. Les adolescents de Denain ne seront peut-être plus condamnés à la déambulation permanente. En apprenant la nouvelle, Maïwenn sourit “ Ah bah c’est génial Denain finalement !” Derrière l’ironie affichée, une pointe d’enthousiasme.
La place de la Mairie, en travaux, sera bientôt transformée en espace vert. (Crédits : Ange Fabre)
*Les prénoms ont été modifiés.
Ange Fabre & Alexandre Alves